Si temps, t'es.
Découvrez Goran Bregović!
Je suis là. Ma dernière note a une semaine. Le temps est passé trop vite cette semaine. Ce qui me ramène inéluctablement à la note promise : Le handicap, voleur de temps.
Elle trotte dans ma tête depuis quelques jours, et sa cadence rythme mes jours aussi sûrement que la trotteuse de ma pendule Murano.
Avant le handicap il y eu pour moi la maladie, d'enfant vous devenez le temps d'une consultation enfant malade, notons au passage que l'on garde son statut de personne, petite personne malade mais personne quand même. Il s'agit alors d'apréhender tout un univers rempli de blancs fantômes qui échangent des mots inconnus et qui en quelques coups de crayons sur un agenda décident subitement ce que vous ferez de votre personne, devenue très patiente, durant l'heure, la semaine prochaine puis trois fois par semaine et une fois par mois, trimestre, an ... que vous le vouliez ou non vous voilà bien obligé d'obtempérer aux consignes précieusement notées sur une ordonnance.
L'ordonnance.
J'ordonne, je veux et j'exige que le soldat matricule Willaime Marie-Lisiane (oui ben oui ..)11 ans consacre 5 heures de son temps à rééduquer des articulations qui vont disparaître mais c'est le protocole ! Cinq heures sans compter les temps de trajets et d'attente dans une salle d'attente au moins aussi gaie que les toilettes publiques de la gare de Lyon (un jour je vous raconterai ...) plus le temps passé à avaler des poudres et des potions, plus le temps d'ajuster les orthèses qu'on appelait en ce temps là des attelles, tous les soirs s'emballer les jambes ou les bras selon les crises dans des bandes collantes reliées à des élastiques eux-mêmes reliés à un corset qui devait garder plié ou tendu l'articulation récalcitrante qui n'allait jamais dans le bon sens près de chez vous, pour une fille de responsable d'agence du Crédit agricole c'est un comble !
Ne soyons pas plus royaliste que le roi, après quelques années de ce régime, l'âge aidant (15 ans) j'ai fini par tout envoyer balader, les séances de kiné, les piqûres et les potions, j'ai décidé une fois pour toutes de laisser à cette maladie le moins de place possible C'est encore vrai aujourd'hui, j'essaye de limiter au maximum le temps qu'elle me prend, tout comme j'essaye de préserver au mieux mes libertés malgré elle, peut-être devrais-je dire aujourd'hui malgré lui. Car d'enfant malade je suis devenue à ma majorité : handicapée.
Je ne me battais plus contre la maladie, je devais faire avec le handicap et le handicap est un dictateur.
J'ai très vite compris que si je consacrais à ma santé physique tout le temps que la société voulait bien penser que je le dusse (ouh là) ma vie allait effectivement se résumer à être handicapée, ma vie allait être handicapée
[Je suis atterrée de lire parfois des formulaires avec en lieu et place de profession : handicapé !!
- Ah oui salut et toi tu fais quoi dans la vie ?
- handicapé et toi ?]
et moi je voulais que ma vie soit mille autres choses. Alors j'ai fait des choix, je n'ai pas suivi toutes les ordonnances, j'ai classé moi-même l'ordre de mes priorités faisant fi des menaces et autres mauvaises augures que me prédisaient les blancs fantômes tout frustrés de voir leur cobaye leur échapper, j'ai repris le pouvoir sur mon agenda, mon costume, MOI !
Ce n'est ni bien, ni mal, c'est mon choix je l'ai fait aussi librement que possible et consciemment.
Cette prise de liberté là, vaut bien une Bastille !
Mais il y a un prix à payer.
Ce n'est pas parce que je ne vais pas me faire masser trois fois par semaine que je n'en ai pas besoin.
Ce n'est pas parce que je dors peu que je ne suis pas fatiguée
Ce n'est pas parce que je travaille que je n'ai mal nulle part.
Là est le prix à payer de la sortie de case !!!
Les plus beaux sourires ne sont pas ceux des personnes qui ignorent la souffrance. Un sourire n'est pas une façade, c'est un cadeau. Et bien malheureux est celui qui ne verra dans le sourire de l'autre que le reflet de sa propre satisfaction ou de son envie. Je sais aujourd'hui que les choix que je fais se payent parfois deux fois !
Et puis il y aura le prix que je payerai cash quand mon corps que je n'aurai préservé saura me faire comprendre que toutes mes cartouches sont grillées, que j'ai fini de manger mon pain blanc et que l'heure de l'addition est arrivée, seule au restaurant et la maison ne fait pas crédit. Oh j'arriverai bien à chiner un pousse-café que je sirotterai tranquillement l'oeil plissé et amusé d'avoir mangé des grives quand la vie me promettait pigeons ! Je préfère mourir consumée d'avoir vécu que de vivre à petit feu pour mourir plus tard !
Mais du temps le bandit arrive à m'en voler quand même. Il m'en vole à chaque fois que je ne peux faire seule et que j'attends. J'attends "un coup de main" Je pense que vous pourrez utiliser cette expression pour mon épitaphe !! Ci-gît celle qui demandait un coup de main ! Mais parfois quand ce "coup de main" reçoit pour réponse "oui attends" il m'arrive de grincer des dents, trop consciente que le temps perdu ne se retrouve jamais. Ce n'est pas facile de prendre du temps à l'autre, celui qui peut et ce n'est pas facile non plus de perdre le sien à attendre et j'entends d'ici un certain qui dirait "ça dépend de ce que tu en fais de ce temps", certes.
Il m'en prend à chaque fois qu'une action me prend vingt minutes là où je ne devrais en dépenser que cinq et ces vingt minutes où je m'échine avec force contorsions à extirper du linge de la machine ou enfiler un pantalon je ne vois pas comment je pourrais le valoriser. En être fière ? Bof.
Il m'en prend à chaque fois que je patiente dans une salle de patience d'un médecin quand j'ai trois cents cinquante deux autres choses à faire "pour la maison" [Private joke, R. si tu nous regardes :)) ]
Le temps et la liberté de penser sont nos vraies richesses, il faut avoir l'un pour valoriser l'autre et inversement.
Et je pense à la grande dépendance, celle qui fait que toute votre vie est soudain régie par les autres qui décident de l'heure de votre repos, de votre réveil, de votre lever, de votre toilette, de vos repas parce que vous vous ne pouvez plus faire seul. Il faudra alors trouver un sens à cette privation du faire, je n'y vois qu'un seul intérêt avoir enfin ... le temps de penser librement.
La semaine s'est finie sur un coup de blues de n'avoir pas pu faire tout ce que je voulais faire, parmi ces choses "écrire pour le blog", c'est chose faite, je suis contente. Ce soir c'est feux de saint-Jean, vous vous souvenez de Tanguy des étoiles ? J'espère bien voir à nouveau des étoiles dans ses yeux ce soir !