Sous le grand saule
Un voile de brume opaline enveloppe la maison à la naissance de cet automnal matin. La Provence toute entière baigne dans une lumière rose et si douce que la pensée d'un hiver blanc se repousse aussi légèrement que cette brume qui danse entre les fuseaux des cyprès de la plaine. Quel est donc ce bruissement que je perçois, couvrant le murmure de l'eau qui cascade dans le grand bassin ? Mille et une notes. Délaissant les quelques menus ouvrages qui m'incombent en ces matins de repos, me voilà attirée par cette incroyable musique. Les rideaux tirés laissent entrer un flot de soleil dans le salon aux couleurs joyeuses. Coulisse la grande baie. Je garderai longtemps au coeur le spectacle de ce matin-là. Un chant d'oiseau, que dis-je, des centaines de chants d'oiseaux. Levant les yeux vers le grand saule je les aperçois soudain ; ils sont des centaines et le saule se prend pour un arbre de Noël ! Un vol d'étourneaux, posé là. En plus de dix ans je n'ai jamais assisté à telle mise en scène. De toutes parts fusent leurs pépiements. C'est beau. L'air chante !
Lentement je me suis avancée dans la grande allée bordée de lavandes, l'air cru du petit matin traverse sans peine cette chemise si fine qui voile mes sommeils. Qu'importe, prendre le temps d'un gilet ferait sans doute perdre l'instant. Sous le grand saule je me suis arrêtée et là, j'ai écouté. Que faudrait-il entendre dans leurs discours affairés ? Je me souviens des mésanges bleues qui venaient fleurir la rambarde du balcon de la maison de mon enfance. Je me surprends à sourire en pensant à mes filles qui se désespéraient qu'aucun oiseau ne vienne dans la si jolie maisonnette construite cet été et voilà que c'est tout un peuple qui a élu domicile dans notre jardin. Chants d'oiseaux le matin annoncent joie et légereté dit l'adage. J'écoute. Je suis un oiseau. Je me balance sur une des branches du saule, légère comme une plume, la joie au coeur, je chante avec eux, petits frères des cimes. Et le temps n'a plus cours. Légère. Légère. Comme un chant d'oiseau d'un matin d'automne, sous le grand saule. Et si une larme perle, elle est de gratitude.