La blessure.
Elle palpite, à peine découverte d'un voile de peau. Rose sur la pâleur. Et c'est comme si la chair s'était débarassée de son habit. Le regard s'y attarde, à la fois ému et prêt à s'en détourner. Mais il revient. Il a d'abord haï le sabre et la plaie, béante sur l'intime, il a ordonné que remonte la garde, le temps, la vie. La chair a pleuré, crachant sang et humeurs, se maudissant de ne pouvoir ressouder les bords. "Trop loin, trop loin", hurlait-elle, déchirée. Sous les regards féroces l'attente suppliante s'est déguisée en exigence. Pointée du doigt, mise à l'index, la rebelle résiste à toutes les chimies anti anti. Anti !
"Aime-moi hurlait la blessure, aime-moi criait-elle, aime-moi" murmura t'elle dans un souffle. C'est alors qu'au coeur du regard un voile passa, subtil, évanescent. Un clignement à peine ressenti, un tremblement qui aurait pu être fébrile. Mais là, à cet instant, l'être a choisi. "Je t'entends, dit le regard. Je t'entends et tu me changes. Je te comprends et oui, enfin, je te vois."
La blessure murmura des jours durant, sa peine et sa peur, sa raison d'être, ses secrets, le mal caché et ses maudits avoués. Elle dit aussi sa richesse, ses enseignements, la mue possible et son amie la guérison.
Le regard troublé baissa les armes, il prit soin de découvrir la blessure sous un jour nouveau, vit le sang dans les veines, écouta toutes ses histoires. L'eau des larmes lava silencieusement les restes de fards. Désarmé, désarmant le regard caressa lentement la blessure, humble, reconnaissant, on pouvait lire dans l'oeil maintenant limpide, un merci, qui éleva la blessure au rang de leveur de brume.
Elle ne meurt pas. Ne s'efface jamais. Elle vit tant que vit le corps qui la porte et murmure à ceux qui la reconnaissent "J'ai été, je suis et je suis guérie." Elle redessine les courbes de mémoire, sculpte les corps en donnant vie même à la terre, elle fait chanter les mots les plus ordinaires. A ceux qui s'approchent vraiment, faisant fi de leur premier regard et réduisant la distance au point de la frôler, elle offre dans un souffle créateur un "Et vous" qui ne trouve écho qu'en ceux qui le souhaitent. Et vous ...
Coeur vaillant faisant face. Coeur ouvert fera trace.Celui qui la blessure aimera, qu'elle soit pleinement mienne ou tiers, possédera en son sein la formule du baume et de l'onguent. Nulle vie sans outrage, ne saura le secret, à moins d'avoir longuement le blessé écouté, sa plaie épousé.
Et que ceux qui passent la tête trop levée pour entendre ou même voir le blessé, passent vite leur chemin car la route sera longue à leurs si fragiles pieds.
Pour l'amie au yeux clairs ...