L'âme de fond
Il y aura l’eau, le départ, le feu au ventre, un brasier de peur et d’envie, le souffle coupé, l’eau, le miroir tendu inexorablement. L’aventure commencera.
Vaporeuse est la brume qui m’entoure, je suis couché au fond d’une barque, recroquevillé. Le clapotis oscille de la menace à la rassurance et mon âme est prompte à basculer de l’une à l’autre.
Je me souviens de vieux brouillards en des jeunes temps, ils n’étaient alors que brumes de lait assorties de quelques voiles de coton et de soie, enfance mal dégrossie piégée entre le temps des autres et quelques anciens silences. Il y avait eu aussi les champs de tempêtes quand les noirs nuages des colères rentrées avaient crevé le ciel peint en force bleu. Puis les eaux rage et les eaux de cœur en nappes de pique, niqués les décors, bafoués les serments, sales errements aux yeux crevés, il n’y a pas plus aveugle que les corps amoureux-fous des dits-eux. Triple sot. Ôte donc le foulard qui te bande tous les orifices, piétiné le frêle esquif par des troupeaux de moutons ou de porcs, regarde donc où te mènent tes yeux qui ne savent ou ne veulent voir. Les éclaircies, ces éclairs-là. Châteaux de brumes inférieures en laisses et en pagnes, primitives survivances, lucidité amère, océans acides. Survivante des camps partisans et des batailles passées à la chaux vive des souvenirs tenaces. Bien sûr, il y avait le soleil en tenailles entre deux guerres, les affrontements de bonheurs volés, tout enrobés de paille et d’allumettes, les embrasements calcinant les jeux de mains, la foudre au cœur, les hier chantants renversant les lendemains qui pleurent, conchier sa propre peine et les repos forcés et puis la rage. La rage.
La rage de vivre vissée dedans, profond, transpercée entre-deux bords, c’est par là que sourde la lumière, tu le sais bien. Tu l’as déjà vue dans tes enterrements de face, quand tu avais creusé si profondément pensant enfouir tes douleurs de vivre en fuyant les incendies dans les voiles, six pieds sous ta mer, perdus plus bas que les abysses méandreux d’un cerveau construit en bûcher, ils auraient dû te prénommer Jeanne. Et tu regardes médusée cette lueur falote, fanal primordial au reflet céladon, pourvu qu’elle soit d’un phare bâti sur un rivage espéré malgré tout.
D’où naissent les remous ? Des espérances dures en lames de front, heurtant les plages marmoréennes des certitudes gravées trop tôt, Etretat suicidaire de tendre enfance. Il faudrait trouver le sable en soi, le grain minuscule, le transpercer, elle serait là. Elle est là.
Tu flottes. Migrant sans ailleurs. Tu as incendié tous les soleils couchants faisant lever la brume ultime, l’essence du conflit qui te déchire l’âme en copeaux, remplissant ton embarcation schizophrène de larmes sèches, râpe tes derniers bords aux parapets.
Vivre-mourir.
Et s’il y avait un pont ?
Une fosse commune pour y couler les fondations de ton arche.
Radeau planétaire lève ton encre des trous noirs, écolier naufragé libre d’écrire, sous ta plume qui tremble, toutes les fins.
Commentaires
Celui-là je vais le relire calmement (et pas sur un smartphone, debout dans un train brinquebalant) parce que pas sur d'en embrasser tous les tenants et aboutissants facilement !
Bisous quand même ;-)
Cheese
je recommence Cheese, mon message précédent a disparu
je te disais que ce texte ferait partie de ces textes qui sortent sans rature, instinctifs, dans une sorte d'urgence à ce qu'ils sortent. Il y a quelques semaines j'ai fait une lecture publique et plus je m'entendais et plus je lisais la noirceur, mais peut-être faut-il y lire la profondeur et garder vivantes les petites lumières.
Et puis il faut dire que nous vivons des temps obscurs, chahutés, nous sommes ballottés entre médiocrité et splendeur, grandeur et barbarie. Et puis je lis un livre de CG Jung qui me remue la lie :)
et puis trois décès proches en deux mois ...:'(
je t'embrasse très fort Cheese, vous me manquez, voyons-nous :)