Monsieur
J’ai un rapport extrêmement particulier à la justice des tribunaux.
Entre peur systématique et défiance. Je ne sais pas réellement d’où me vient cette peur qui me semble primaire.
La psycho-généalogie m’a ouvert quelques éclats de compréhension : une arrière-arrière-grand-mère condamnée en 1902 à l’internement pour avoir mis le feu à sa maison et qui passera 24 ans en asile et y mourra. Un arrière grand-père pedocriminel condamné pour viol sur fillettes par un tribunal de guerre en 1920 mais qui bénéficiera d’une grâce présidentielle en 1921, lui permettant ainsi d’épouser Clémence et de lui donner une fille, Andrée, ma grand-mère. Comme si une grâce présidentielle pouvait absoudre d’un tel crime et miraculeusement guérir un homme de sa violence.
Avant de découvrir ces faits j’avais déjà conscience que l’injustice était un puissant déclencheur de révolte pour moi. Petite j’avais du mal à comprendre que des copines puissent me faire la tête parce que je jouais parfois avec les garçons, moi j’aimais tout le monde sans distinction, entre naïveté et défiance. Je me souviens plus tard, du sentiment d’injustice quand une amie, lors d’une correction mutuelle de dictée, avait grossièrement effacé un « s » de ma copie, créant ainsi une faute, sans doute par jalousie. Puis à l’adolescence je me souviens d’aller prendre une adhésion et un badge « touche pas à mon pote » et d’être déléguée de classe pour défendre les copains. Je me souviens d’une sombre histoire d’héritage pour laquelle procès rendit justice à mon père et ses frères et sœurs. Bien sûr j’ai le souvenir cuisant de la survenue « injuste » de la maladie dans mon corps de danseuse quand bien même cette maladie auto-immune ne soit que le fruit d’un cocktail attaque virale/stress/tabagisme passif sur un terrain génétique propice et non une punition divine sur un esprit malin.
Au tribunal d’Avignon j’y étais venue pour la liquidation judiciaire de mon entreprise en 2007, le divorce en 2012 et pour mon accident de voiture, plainte classée sans suite et le pretium doloris qui m’a été accordé après 7 ans d’appel a été si ridicule que mon avocat n’osait même pas me donner le verdict final.
Alors, non, je n’ai pas un rapport personnel apaisé à la justice de mon pays.
Et pourtant en ce jeudi 16 septembre 2021, j’étais de retour au tribunal. Quand faut y aller, faut y aller.
Pass sanitaire en poche, masque sur le nez, tirée à quatre épingles (même mis un soutien-gorge), chignon strict, lunettes. Un « peu » cliché mais rassurant pour moi de me conformer à une certaine image. L’enfant, lui, semble bien plus décontracté que moi, même s’il a travaillé son « passing ». Chemise bleu ciel, pantalon droit et tennis blanches. Au poignet la montre et la gourmette gravée William, cadeaux pour sa majorité.
Ce jour-là, au tribunal judiciaire d’Avignon, avait lieu l’examen de sa requête en changement de genre.
Je n’ai pas été autorisée à entrer dans la salle d’audience.
Le greffier s’est contenté d’un laconique mais incontestable « vous madame vous restez là ».
J’ignore totalement la raison de cette injonction, Covid (tous munis d’un pass) ou confidentialité (le motif de sa requête est pourtant publiquement affiché sur le planning des audiences dans le hall) ?
Et mon enfant est entré dans une salle d’audience, pour la première fois. Seul.
Je dis mon enfant mais il ne m’appartient pas et, depuis le début de sa transition, je m’évertue à protéger sa liberté d’être. J’écoute ses réflexions, j’observe son cheminement intérieur et physique. Et ces humains, juges, assesseurs, greffier, qui ne le connaissent pas ont toute autorité pour décider, en quelques minutes, si la jeune personne qui se présente à eux a le droit d’avoir un 1 plutôt qu’un 2 sur sa carte vitale. C’est à la fois normal et délirant. Mais ma principale question est la suivante : de quelle sorte de danger notre pays pense t’il se prémunir en confiant ainsi le changement de genre au judiciaire ? Attention la simplification administrative qui a amené notre pays (pointé du doigt par ailleurs par la cour européenne des droits de l’homme) à se dégager de contraintes archaïques d’obligations chirurgicales à l’encontre des personnes trans, cette simplification donc, je la salue mais ne sommes-nous pas dans la demi-mesure ? Pourquoi le genre social, pure construction intellectuelle et culturelle, ne pourrait-il pas être simplement déclaratif ?
Pour vous dire le fond de ma pensée je pense que dans un monde idéal, ce que nous avons entre les jambes ne devrait regarder que nous et que la première question de tout formulaire devrait être notre prénom (prénom que nous choisirions nous-mêmes à l’âge de notre choix). Quelle révolution culturelle ça serait ! Fini les discours du vieux monde sur l’égalité homme/femme, on inventerait toute une tripotée de prénoms non binaires n’en déplaise à Z le grincheux, la mode serait créative pour toustes et la découverte sexuelle de l’Autre tellement plus pétillante !
William a dû fournir des preuves qu’il se présentait depuis au moins deux ans sous un genre social masculin.
Allez, petit exercice pour les Claude et les Dominique quelles preuves pourriez-vous donner de votre genre social ? Il / elle ; pomme d’Adam ou seins en poire, banane ou abricot ? Veuillez justifier vos salades de fruits ! Jupe ou pantalon ? Kilt ou boyfriend ? Faites-moi l’inventaire de vos modèles qu’on en fasse des clichés !
Perso quand j’ai coupé mes longs cheveux tout court « à la garçonne » pour la première fois, je me suis sentie ultra-féminine avec Annie Girardot en tête. Aujourd’hui avec mes cheveux longs en chignon je me sens surtout vieille :D
Er puis aussi, dans nos tribunaux, n’avons-nous pas tellement d’autres urgences à traiter que le souhait vital de quelques-un-e-s de faire une transition de genre social ?
L’enfant est ressorti impressionné mais heureux.
C’est Monsieur maintenant.
* le passing qualifie votre capacité à faire genre
PS : si je ne parle que de moi dans ce texte c’est bien pour respecter son ressenti à lui, il ne raconterait peut-être pas cette journée de cette façon, les deux qualificatifs que j’ai utilisés le concernant « impressionné et heureux » sont ceux dont il m’a fait part.
Commentaires
Je ne sais pas quoi répondre pour la première fois à un tes posts, tellement celui-ci me bouleverse. L'essentiel est que William en soit ressorti heureux. On s'appelle un des ces jours...Bisous ma douce.
ma très chère Marie, que d'épreuves traversées toujours avec clairvoyance et gentillesse, tu es et resteras un modèle pour moi.
Quand notre société arrivera t'elle un jour à sortir de son carcan genré?
Comme ta proposition est belle de pouvoir choisir son prénom à un moment de sa vie, comme le faisait les amérindiens. Ton texte est porteur d'espoir. Bravo et bienvenu à William dans sa vie officielle d'homme !
Longue vie à vous deux mère et fils. Bravo vous avez tout mon amour
Coeur vaillant ma Patricia
Joli texte... comme toujours. Et je partage de loin le "heureux" de William. Belle route à toi
Merci Joyce de partager nos moments heureux
Perso je vous aimes toustes ;-)
Très heureux et a très vite
Merci mon Paul Oui à très bientôt j'espère parce que tu nous manques gros bisous
"Faites-moi l’inventaire de vos modèles qu’on en fasse des clichés !"
Mmmm, est-ce-qu'on ne peut pas plutôt faire des clichés avec des modèles ? Je suis plus enclin à ce genre d'exercice ! ;-)
Soyez heureux !
Merciiiii Cheesegeek
Car "les hommes sont des femmes comme les autres..." G
Groucho Marx
Et que "le dernier homme est une femme". Marie Lisiane Willaime
Au top, bonne année à vous !