Lumières
Elle apprivoise la lumière pour sublimer les ombres folles, mères de la source prodigue.
Au cœur des noirceurs et des secrets enfouis naît la plus pure des eaux qui jaillit d’entre les roches dures.
Chatoyante, claire-obscure, ajourée, changeante, Salomé me demande quel mot ou expression utiliser pour décrire la lumière au travers des arbres. Quelle colle, voilà que je sèche. D’autant que celle du printemps n’est pas celle d’automne et celle du matin aussi unique qu’est singulière celle du soir. Avec ou sans brume et volutes parfumées ? Eclaboussée de scintillements de rosée ou craquante de feuilles rousses et piquées ? Animée d’un éclair vif aux rebonds de l’écureuil curieux et craintif tout à la fois ou se mirant aux calmes rides d’une flaque d’eau brune ? Ode aux lumières ludiques des sous-bois de nos enfances, émois crus et impudiques des verts printemps, turgescents de vie, bains chauds et enivrants d’une forêt au cœur des étés lorrains quand l’abeille alourdie emporte son butin d’or, dans un vol comme saoule.
Un jour d’examens partiels auxquels il me semblait avoir échoué je nous avais emmenées, ma peine et moi, aux vieux étangs que j’avais découverts par hasard au détour d’un virage de la route qui reliait Saint-Dizier et Bar-Le-Duc. Pour rejoindre les petites étendues d’eau aux reflets verts et mauves il m’avait fallu cahoter au pas sous une arche solennelle de grands arbres. Les troncs élancés de ceux qui devaient être des hêtres offraient à la voute végétale une solide verticalité digne des bâtisseurs sacrés, offrant à mon âme tourmentée un élan vers le ciel. La pénombre au tamis de verdure était douce et apaisante, traversée comme en songe de longs rais d’un soleil timide qui semblait inquiet et respectueux de ma confuse mélancolie. Quelques larmes froides tentaient de se frayer un chemin au nœud de ma gorge encombrée de sanglots qui, même eux, me semblaient inconvenants. Je ne pouvais échouer, j’allais noyer mes idées sombres au cristal ondoyant d’algues émeraudes dans lequel se reflétaient quelques nuages gris et lourds, annonciateurs d’averse. Au sortir du tunnel boisé et protecteur, les yeux plissés aux éclats, j’avais dû avancer à découvert. Ni pêcheur, ni promeneur pour contrarier mon funeste dessein. Si mon avenir me paraissait se fourvoyer dans une trop longue impasse, la voie elle, était libre. Mon ironie ravalée j’avançais prudemment jusqu’à la rive, molle des lourdes pluies printanières, prenant garde qu’un collet de roseau n’exécute pas prestement et prématurément, ma dernière volonté.
L’étang Franchot, c’était son nom, qui émaillait cette forêt du Haut-Juré, le portait bien mal, son nom. Il me parut à cet instant sournois et plus que froid. Aucune libellule pour virevolter, ni croassement bucolique happant quelque mouche ou sombre idée, pour conter légende de prince.
C’était une pauvre flaque froide. Je fis encore quelques pas espérant trouver l’endroit propice à mon acte et le courage à la hauteur de mon drame d’alors. Les corbeaux commençaient à se moquer et j’avais froid aux pieds comme au cœur. Accroupie au bord de ma délivrance, un long cri jaillit soudain du tréfond de ma poitrine. Le monde se tut. Et ce ululement de bête blessée répara soudainement mon âme, me soudant à la vie.
Le soir tombait sur l’étang, il fallait que je rentre, rendre ce petit coin de nature à sa paix meusienne. J’avais, me semblait-il, échoué à l’épreuve de thermodynamique des fluides, demain la chimie organique que j’adorais, me donnerait, peut-être, une seconde chance.